L’allocation climat est-elle “trop compliquée” ? Vianney, dans un article précédent, pointe le fait que on ne doit pas comparer sur ce critère la situation actuelle très insatisfaisante tant du point de vue des résultats que de la vision . Qu’en est-il alors de l’objection “c’est trop contraignant” souvent mise en avant ? Gilles souligne que si la contrainte devient très réelle et peut devenir inacceptable, elle est beaucoup moins le fait de la politique publique mise en œuvre que du niveau de réduction annuel des consommations d’émissions de gaz à effet de serre atteint. Et que ce à quoi on n’avait pas pensé n’est pas nécessairement le plus inacceptable, une fois la nouveauté assimilée.
La contrainte est (presque) quantifiable
La contrainte est ici l’effort nécessaire pour se plier à une politique publique comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre . Elle augmente à la fois par le degré de nécessité (obligation avec ou sans pénalité, … ) et par le niveau d’effort. Cet effort se mesure en valeur relative (%) : un même effort sera plus contraignant s’il représente 50 % des ressources que s’il en représente 5 %. Et surtout la pression doit être ramenée à l’unité de temps : Si l’effort nécessaire peut être étalé sur une durée double , il sera deux fois moins contraignant. Cette définition de la contrainte ne préjuge pas des acteurs économiques sur lesquels elle pèse (collectivités, entreprises, ménages) et une mesure peut être une contrainte pour plusieurs d’entre eux.
En raison de la diversité des mesures et des situations, il reste difficile de quantifier la contrainte au niveau individuel. Par contre, je propose de la mesurer globalement par le rythme de réduction annuelle des consommations d’émissions de gaz à effet de serre pour une population.
La contrainte dépend beaucoup plus de l’ambition que de la politique choisie
Cette proposition se base sur l’idée que si on cherche à comparer différentes politiques publiques comme la planification, la taxe ou le quota en termes de contrainte, on différencie plus ces politiques sur l’acceptabilité de la contrainte que sur le niveau de contrainte . Et que ces différences pèsent peu face à l’augmentation de contrainte induite par l’augmentation de réduction annuelle atteinte .
Pourtant assimiler contrainte et réduction annuelle n’est pas évident. Quelles peuvent en être les (mauvaises) raisons ?
- Si on peut imaginer qu’ avec information, incitation, offre abondante,… on peut réduire les émissions, l’histoire nous prouve que ce n’est pas le cas sur un temps restreint et pour un niveau de réduction élevé comme il doit l’être aujourd’hui faute de l’avoir été hier.
- Lorsque on pense contrainte, on la réduit souvent aux contraintes qui pèsent uniquement sur les consommateurs . On oublie par exemple qu’ un programme d’investissement élevé doit être financé par le contribuable.
- Lorsque on compare les politiques publiques, on compare les contraintes de politiques qui visent le même objectif de réduction mais dans la mesure où cette réduction est loin d’être atteinte, notamment en l’absence d’obligations, pénalités, …, il faut les comparer sur le niveau effectif de réduction. C’est d’ailleurs je pense la raison principale qui fait que l’allocation climat paraît à certains plus contraignante car elle porte en elle la promesse de tenir l’objectif.
- Imaginant que la technique suffira à réduire fortement nos consommations d’émissions, on ne voit pas que le temps nécessaire à leur développement (20 ans pour une nouvelle génération de centrales nucléaires) ne pourra jamais être rattrapé : le niveau de réduction nécessaire est déjà si élevé.
- Le non-respect de la réduction de nos consommations d’émission, c’est-à-dire un réchauffement encore supérieur, n’apparaît pas comme une contrainte, c’est-à-dire qu’ on imagine qu’ on pourra (pour certains) échapper à ses conséquences.
- Le changement d’ordre de grandeur nécessaire dans la réduction n’a pas frappé tous les esprits : depuis l’année de référence 1990, les émissions territoriales de la France ont diminuées de 0,4% par an et sur les dernières années le rythme a plutôt doublé . Mais il doit être dés maintenant de 6 % par an pour la zéro émission nette en 2050, et encore parce que on a fait le pari de multiplier par 4 les émissions nettes négatives de l’utilisation des sols (UTCATF) alors qu’elles ont été jusqu’à présent divisées par 2. Il y a eu moins de réduction pour l’empreinte que pour les émissions alors qu’ un rythme de 6% au moins est nécessaire maintenant.
- L’allocation climat en l’absence d’objectif de réduction et pour un prix d’échange très faible dans le cas d’un marché parfait n’est pas contraignante. Elle est pédagogique. Une taxe nulle elle n’est ni contraignante, ni pédagogique.
L’acceptabilité à laquelle on la compare est moins définie et moins quantifiable
Si on peut presque imaginer une quantification de la contrainte, l’expression “trop contraignant” fait aussi référence au niveau d’acceptabilité : le niveau de contrainte dépasse le niveau d’acceptabilité. Cette notion d’acceptabilité est bien plus vague et moins quantifiable que celle de contrainte.
Accepter une politique de réduction de nos émissions, c’est selon moi trois actes intimement imbriqués :
- Comprendre la nécessité de la zéro émission nette
- Choisir la politique en question . Pourquoi est-elle à priori efficace , équitable, …
- Consentir à vivre les contraintes . Ce consentement dans la durée, comme l’impôt, dépend du volume, de la légitimité du pouvoir de collecte, de la pédagogie, de la légitimité des usages, de la justice, ….
Si on a fait de la contrainte un agrégat collectif, l’acceptabilité est individuelle, peu rationnelle, peu stable dans le temps et son agrégation sociale suit des voies bien plus sinueuses que l’arithmétique des sondages.
L’acceptabilité, c’est toujours fragile, ça n’est pas intangible et ça se travaille.
L’acceptabilité dépend bien sûr du niveau de contrainte : il y a un moment où ça casse.
Mais je fais l’hypothèse qu’elle dépend tout AUTANT de notre perception : est-ce justifié (je comprend) ? , est-ce juste ou équitable ? Le bras armé de la contrainte est-il légitime ? Est-ce bien utilisé ?, … Selon moi les deux déterminants essentiels sont compréhension et justice.
Quand on compare les deux termes, dans la situation actuelle de la nécessaire réduction des émissions, l’acceptabilité sera pour longtemps plus faible que la contrainte.
La première chose à faire est donc de travailler le plus possible cette acceptabilité et donc d’expliquer sans relâche. On est encore loin du compte.
Ensuite on doit choisir entre aligner les contraintes sur l’acceptabilité et donc opter pour un réchauffement et des conséquences plus catastrophiques , ou bien se résigner à agir sous contrainte au-delà de ce déficit d’acceptabilité. Il n’y a aucun choix net. On navigue à vue. Par contre ne pas tenir un langage de vérité est un crime. Vivement le référendum pour engager chacun dans ces choix cornéliens. Le référendum est un moyen pédagogique et fournit une légitimité démocratique. Il améliore l’acceptabilité et diminue très probablement l’ambition moyenne.
Y a-t-il des politiques plus acceptables que d’autres ?
Pour simplifier, nous distinguons trois familles de politiques, la planification avec ses déclinaisons et mesures sectorielles, le signal prix et les quotas. Bien que les quotas, notamment à la production, ont aussi un signal prix. Si on peut comparer ces politiques , on ne les oppose pas nécessairement. La très grande difficulté de cette comparaison est de le faire à périmètre et résultat comparable. Et de le faire avec des arguments rationnels , alors que l’acceptabilité ne l’est pas toujours.
Soyons clair, nous constatons une faible acceptabilité de l’allocation climat, ou plutôt des positions très clivées. Pourtant, une fois passée la fatalité d’une proposition nouvelle voire révolutionnaire (l’étape du choix) , celle de vérité qui dérange, en imaginant le temps venue de la durée, celle du consentement, l’acceptabilité du quota à la consommation me parait meilleure pour les raisons suivantes :
- La nécessaire redistribution (vers les moins riche ou vers les plus contraints) d’une politique de taxe ou de quotas à la production n’est pas constitutive de cette politique, elle n’est pas lisible, elle n’est pas constitutionnelle (fléchage recettes -> dépenses) , elle n’a pas eu lieu historiquement et donc paraît moins juste.
- L’intégration dans un seul critère, le prix, de nombreuses composantes conduit à rendre moins lisible le lien entre nos actes et le réchauffement climatique que dans le cas de l’utilisation d’une double monnaie (euros, kg CO2e) . Et donc si on comprend moins, cela paraît moins légitime, donc moins acceptable. L’augmentation d’une autre taxe que la taxe carbone, ou des prix de l’énergie, limitera l’acceptabilité de la taxe carbone. Phénomène moins prégnant avec l’allocation climat.
- La planification, avec sa multiplication d’interdit, normes, … ne peut être appliquée au même moment à tous les secteurs : et ce bruit de fond général “pourquoi moi et pas lui” est celui de la perception d’injustice.
- Les choix de la planification sont des choix collectifs nombreux . En pratique peu démocratique . Par exemple l’élection présidentielle peut-elle trancher le choix d’un des scénarios de l’ADEME ? Alors que la liberté de choix des usages (mais moins de l’offre) permise par l’allocation climat rend ce degré de liberté si important pour l’acceptabilité.
On n’épuise pas ici les objections sur l’allocation climat mais je me suis concentré sur les différences de consentement (acceptation dans la durée) que sur celle du choix (initial). Par exemple, les mêmes objections très fortes sur la “libertés des données personnelles” ou le “crédit social” (le chinois, pas l’américain car celui la on l’a déjà) seraient invoquées aujourd’hui contre la mise en place d’une administration fiscale ou de l’INSEE.
L’allocation climat est trop contraignante (peu acceptable) , essentiellement en raison du fort taux nécessaire de réduction annuel de nos émissions mais elle est plus acceptable que la taxe ou la planification pour l’atteinte de la zéro émission nette en raison de sa pédagogie, de sa justice et de la liberté qu’elle laisse.