Dans ce billet d’humeur, Vianney démonte avec verve l’objection commune de la complexité de l’Allocation Climat. Face à la crise climatique, ca n’est pas ce dispositif qui va être compliqué à gérer, c’est son absence.
Eh oui, une partie des réactions à chaud lorsqu’on parle de quotas individuels de CO2, c’est celle ci !
L’Allocation Climat serait trop compliquée à mettre en œuvre, politiquement, techniquement ou simplement du fait d’une présupposée réaction épidermique de la part de la population.
Mais… comparons ce qui est comparable. Je m’explique.
Aujourd’hui, on est plutôt tranquille
Aujourd’hui, la contrainte climatique n’est peu ou pas traduite comme une contrainte sur nos modes de vie.
Le bonus malus écologique par exemple, est une contrainte négociable puisque ceux qui souhaitent acheter des voitures lourdes et puissantes déboursent simplement un peu plus. Une étude de l’INSEE en 2012 indique même un effet contreproductif, puisque les voitures puissantes sont toujours achetées malgré le malus, et que le bonus a incité à vendre davantage de véhicules neufs.
L’apparition d’un écoscore, éternellement en débats, serait une simple information. Des effets similaires à ceux ci-dessus pourraient être observés, puisque nous souffrons tous du biais de confirmation, qui nous pousse à rejeter les informations allant contre notre volonté (un écoscore mauvais sur un produit que nous apprécions) – et donc à passer outre -, et qui nous pousse a contrario à nous conforter dans nos choix lorsque l’information va selon notre volonté. In fine donc, on pourrait très bien se retrouver à consommer peut être un peu moins les produits mal notés, mais à sur-compenser en augmentant notre consommation de produits mieux notés. Bref aucun contrôle sur le résultat.
A coté de cela, on note l’apparition dans le paysage normatif, de règlements de plus en plus contraignants:
- Les réglementations thermiques et environnementales, et notamment la RE2020 dont le périmètre dépasse de beaucoup celui des réglementations thermiques jusque là. Discutez avec des gens qui cherchent à construire une maison de nos jours, c’est collector.
- Certaines interdictions, comme par exemple celle de louer des passoires thermiques, ou la vente de véhicules thermiques récemment approuvée au niveau UE. On peut s’amuser (ou pas) de l’inventivité des lobbys pour conserver des niches (exemple)
La taxe carbone, n’en parlons même pas, en 2022 ça n’existe pas. Ce n’est pas tout à fait vrai car la moitié du prix de l’essence est composé de taxes (on a vu d’ailleurs que les gilets jaunes étaient ravis qu’elles augmentent d’un montant même faible).
Donc globalement, aujourd’hui, on est tranquille. On commence à être titillé, mais on s’en amuserai presque tellement les échéances réglementaires sont lointaines (2035 pour l’interdiction des véhicules thermiques) par rapport aux objectifs nationaux (neutralité en 2050). Par contre, lorsque l’essence passe la barre des 2 euros le litre, on rigole d’un coup beaucoup moins.
Et si demain, l’effet des politiques publiques environnementales continuait à s’amplifier, et devenait aussi violent que cette impression actuelle de vider son porte-monnaie dans son réservoir ?
Petite expérience de pensée
(Coups de théâtre, le rideau se lève). Nous sommes en 2050, et par un miracle de courage politique et de sobriété collective, nous avons collectivement réussi à annuler nos émissions nettes de CO2. Incroyable. Un pari plus qu’incertain, mais finalement tenu. Pour rappel, l’objectif est une empreinte carbone de 2 tonnes de CO2eq par an, lorsque la moyenne française est autour de 10 de nos jours. Divisé par 5, bim.
OK. Maintenant imaginons la vie dans cette fabuleuse année 2050. 2 tonnes sur 365 jours, cela fait en moyenne 5.5kg de CO2 par jour, lorsque:
- une bonne bavette de bœuf (150g à raison de 33kgCO2/kg de boeuf), c’est l’équivalent d’un jour de « budget » de CO2 (source)
- Un trajet Toulouse – Paris Orly en avion, 80kg c’est deux semaines de budget CO2 (source)
- 70km en voiture électrique c’est un jour de budget (eh oui, la voiture électrique, ça émet du CO2 à cause de la fabrication des batteries et de la production électrique, 80gCO2/km en prenant en compte les évolutions du mix énergétique, source). La distance moyenne domicile-travail en 2008 était de 15km (source) c’est à dire que l’aller-retour consommerait 43% de notre budget CO2 quotidien si on le faisait en voiture.
- les exigences de la RE2020 en termes de consommations énergétiques à l’usage sont de faire moins que 75kWhEP/m2/an (CEP max), en admettant que le gaz ait disparu des chauffages domestiques en 2050, et compte tenu du coefficient de conversion actuel de 2.3 entre kWh électrique et kWhEP cela fait 32kWh/m2/an, à 50gCO2eq/kWh et pour une maison de disons 100m2 cela fait près de 450g de CO2 par jour, soit presque 10% du budget quotidien (source)
- Une maison construite en ossature bois (le top de la construction écologique) amortie sur 50 ans (8 tonnes de CO2eq pour 100m²), ça fait aussi 450g de CO2 par jour (et oui, la construction des maisons, le renouvellement du parc immobilier, ça émet aussi, bois ou pas bois ! source). Une maison ‘normale’ (brique/parpaings) c’est 2x plus.
Donc là, on a seulement parlé de bavette de bœuf, d’avion, de voiture et de maison, et avec une maison en bois aux normes les plus récentes, une voiture électrique donc en ayant déjà fait les plus gros efforts d’un point de vue porte monnaie et technologie, et on voit que ce n’est pas si anecdotique que ça par rapport à notre budget CO2. Et on n’a pas parlé d’achats, d’alimentation autre que viande, de loisirs, de smartphone, etc…
Évidemment, un certain nombre de changements systémiques auront permis de globalement réduire l’impact des produits les plus carbonés de nos jours, mais le constat ci dessus sera toujours applicable quelle que soit sa nuance.
Ça veut dire quoi tout ça ?
Ça veut dire que pour tenir dans les 2tonnes , il est très (très) probable que quelqu’un doive décider de ce que l’on gardera et de ce que l’on réduira par rapport à notre mode de vie actuel.
Toute la question c’est donc: est-ce qu’on sera tous d’accord pour réduire les mêmes choses ?
Quand on voit le bazar médiatique mis par les simples décisions de mettre un menu végétarien par semaine dans les cantines, ou même quand vous vous engueulez avec vos voisins pour une hauteur de haie ou des odeurs de barbecue, je suis à peu près sûr de mon coup lorsque je répond « non » à la question ci-dessus.
Et donc le rapport avec la choucroute ?
C’est très simple. Pour parvenir à cette belle année 2050 à 2 tonnes, il y a plusieurs moyens:
- on se fait mutuellement confiance et on se sert la ceinture nous-même. Pas besoin de lois, de cadre, chacun se débrouille et y arrive comme un grand. Oui ça pourrait marcher. Ça pourrait…. Jusque là ça n’a pas marché, mais ça pourrait…
- l’État décide pour nous. Il interdit les voitures thermiques (tiens tiens, mais bon pas les Mazerati faut pas pousser), les passoires thermiques (tiens tiens), mais aussi la consommation de viande, les trajets en avion, il impose une distance maximale domicile-travail ou vous force à y aller en vélo si vous êtes à moins de 10km, il refuse les permis de construire pour les maisons individuelles car c’est moins rentable en CO2 que des appartements, il met en place un rationnement des produits laitiers, etc.
- l’État nous laisse décider, mais nous incite via une taxe carbone, et il est gentil car en plus il redistribue le produit de la taxe aux plus pauvres. Donc si vous êtes riche, vous vous dites que la vie de rêve que vous meniez en 2022 entre NewYork, Paris et London (yeah) et Hawaï pour les vacances vaut bien le coup de filer à l’État une partie de l’argent de vos dividendes ou les loyers que vous percevez sur votre patrimoine immobilier pour continuer à vivre comme avant. Et quand vous être pauvre, eh bien vous reprenez votre gilet jaune, car là ce n’est plus seulement quelques centimes sur un litre d’essence que vous allez débourser, pour peu que la redistribution de la taxe ne comble pas ce que la taxe carbone va vous prendre.
C’est chouette non ?
Ah, j’oubliais un autre moyen. Avec l’Allocation Climat en 2050, vous auriez aussi respecté votre objectif de 2 tonnes de CO2 mais par rapport aux situations ci-dessus vous pourriez en plus:
- choisir de vivre là ou vous voulez par rapport à votre travail, parce que vous avez choisi de fortement réduire votre consommation de viande
- ou vous acheter une bonne bavette de temps en temps, car vous allez au boulot en vélo
- aller voir mamie à sa maison de retraite à 200km toutes les deux semaines plutôt qu’une fois par an, parce que vous avez choisi de faire réparer votre smartphone plutôt que d’en acheter un neuf
- ou même prendre l’avion une fois tous les deux ans pour aller visiter l’autre bout du monde, car vous aurez économisé du Co2 sur tout le reste
- la liste n’est bien sûr pas exhaustive, d’ailleurs il faudrait en fait 66 millions de lignes pour que chacun puisse exprimer comment il utiliserait cette « liberté durable » sans avoir à se soucier de comment son voisin l’utilise
Maintenant on passe au cœur de notre propos.
C’est trop compliqué, vous disiez…
Pour l’Allocation Climat, il faut plusieurs choses:
- un étiquetage carbone des biens et services… mais pour la taxe carbone aussi (importations comprises sinon le ministre de l’économie Cocorico va faire la gueule). Donc de ce point de vue, c’est kif kif.
- un système de paiement électronique et des comptes de type comptes bancaires pour gérer son budget CO2. OK la taxe n’en a pas besoin, mais ce n’est pas vraiment nouveau non plus (sauf si vous n’avez pas de compte bancaire, ni de carte bancaire, mais vous êtes un extraterrestre alors). Sachant que notre étude de faisabilité a montré que les systèmes actuels étaient compatibles.
- une trajectoire annuelle de réduction des émissions, compatible du scénario choisi par la France parmi les propositions du GIEC par exemple (en gros, +1.5°C de réchauffement, les données sont déjà disponibles – merci le GIEC – il n’y a qu’à les prendre)… et ça n’importe quelle politique publique visant à réduire les émissions de GES l’aura aussi.
- Optionnel, un marché d’échange de quotas avec les règles qui vont bien pour que les riches ne s’empiffrent pas (par exemple un prix d’achat qui dépend de combien on a déjà acheté). C’est optionnel. Nous l’avons inclus dans la définition de l’Allocation Climat parce que ça permet de rétribuer ceux qui ne consomment pas tout leur budget, tout en mettant un peu de flexibilité pour ceux qui sont borderline, mais ça n’est pas strictement nécessaire.
- eeeetttt…. (roulement de tambour)…… DU COURAGE POLITIQUE…. et là, si vous ne vous rappelez pas des gilets jaunes, faites une petite recherche sur Internet. Et si vous avez bien lu les paragraphes précédents, vous vous dites en ce moment que finalement, la « liberté durable » permise par l’Allocation Climat, elle surpasse quand même de loin la charge mentale de devoir penser à son budget CO2 en allant faire ses courses ou au moment de choisir entre son vélo et sa voiture pour aller au boulot.
- Pas de modèle économique requis, ni de boule de cristal, ni d’essai-erreur. Le respect de la trajectoire de réduction définie au préalable est GARANTI par conception. Si on ne peut pas dépenser plus que son budget, on ne peut pas collectivement dépasser les plafonds d’émissions ou d ’empreinte carbone nationaux que l’on s’est préalablement fixé
Si vous hésitez encore, tirez de votre portefeuille votre carte Vitale, et posez-vous la question en contemplant cet objet rentré dans notre quotidien: à l’époque, un tas de gens intelligents ont sûrement dû dire que ça serait trop compliqué, qu’il faudrait mieux que les gens paient directement une mutuelle privée comme aux Etats-Unis…
Bien sûr, il y aura toujours des gens pour qui tout cela restera trop compliqué, surtout par rapport à ne rien faire pour réduire nos émissions. Probablement qu’ils changeront d’avis quand ils apprendront les nuisances que ça leur apportera sur un tas d’aspects, malgré la clim… Mais c’est pas le sujet de cet article.
C’est bon tu as fini ?
Héhé, non ! là on a fait la passe sur les choses nécessaires pour mettre en place l’Allocation Climat, mais on n’a pas fait le même exercice pour la taxe carbone ! Allons y. Pour une taxe carbone il faut plusieurs choses:
- un étiquetage carbone des biens et services (importations comprises), comme pour l’Allocation Climat
- un modèle et un système de redistribution du produit de la taxe vers les plus pauvres (faudra-t-il remplir un formulaire CERFA chaque trimestre pour en bénéficier .. ? cf le non recours au RSA)
- un modèle de taux pour la taxe, c’est à dire combien le citoyen doit débourser pour acheter un produit représentant 1Kg de CO2, et SURTOUT un modèle qui vous permette de calculer le taux qui vous fera atteindre vos objectifs de réduction des émissions, année après année.. Et là…. comment dire…. c’est un peu comme si vous disiez que les économistes avaient réussi à prédire la crise de 2008, ou avaient choisi l’austérité comme remède à la crise de l’Euro après avoir eu une apparition. Ça ne marche pas comme ça en macro-économie: on essaie, on se plante, on change de méthode, on recommence. D’ailleurs c’est pour ça que les économistes se battent toujours entre eux. Entre temps, une nouvelle campagne, une nouvelle élection, de nouvelles consignes. On peut imaginer que ce chiffre nébuleux, sorti de nulle part aux yeux du citoyen, sera la proie des mêmes mièvreries politiques que le barème de l’impôt sur le revenu. Si on devait mettre tous les œufs de notre avenir commun dans le même panier que ce modèle de taux, eh bien autant faire passer le panier sous une voiture tout de suite. En face de ça, la seule donnée d’entrée pour l’Allocation Climat, c’est le résultat à obtenir, c’est à dire le volume global des émissions des Français année après année.
Je ne prends pas la peine de faire l’exercice pour l’option « full interdictions », il suffit de lire cet article pour comprendre pourquoi cette option, en plus de nous priver d’un maximum de liberté in fine, fera la part belle aux injustices via les copinages en tous genre.
Allez viens, c’est bientôt la fin
🎵 De ce monde, qui n’entend rien 🎵
Pour finir avec une note Rock’n’Roll, résumons la situation:
- Actuellement, on a en gros zéro pression sur le CO2.
- Donc c’est assez logique que les gens disent « c’est trop compliqué », puisque si on compare avec le bonus malus écologique, oui c’est sûr c’est plus compliqué. Mais c’est pas la même efficacité. A ce rythme là, tout est trop compliqué donc c’est plus simple de faire un trou dans le sable et de mettre sa tête dedans.
- mais si on se place dans le futur, en faisant l’hypothèse qu’on a réussi à respecter nos engagements de réduction (ce qui nous l’avons vu, est loin d’être acquis avec une taxe carbone), et qu’on regarde quel serait notre vie en fonction de la politique qui a accompagné cette réduction, eh bien là où on a le plus de liberté individuelle, c’est l’Allocation Climat.
Conclusion: de toute façon, les politiques qui vont nous accompagner sur la réduction des émissions de GES seront plus compliquées que les politiques actuelles, car les politiques actuelles c’est de la bibine. On a vu que la taxe carbone et l’Allocation Climat avaient en gros un niveau de complexité similaire. Donc il nous faut choisir sur d’autres facteurs: veut-on mettre du temps (qui nous est compté), de l’argent (aussi, dans une moindre mesure), et des efforts (ça veut dire des suicides, des burn-out) sur une politique dont on sait qu’elle a de graves lacunes techniques et sociales par conception (la taxe carbone), ou bien poser un regard lucide sur l’avenir et mettre les mêmes efforts sur une politique qui nous apportera la garantie de la sécurité et une liberté durable ?
Ensuite, vous n’avez plus qu’à cliquer ici pour nous envoyer un mail en disant que vous êtes d’accord, et que vous voulez même contribuer avec nous à éviter le massacre.
J’espère que vous serez entendus par ceux qui ont le pouvoir de faire bouger les choses !
Aucune solution n’est parfaite et ne peut convenir à tous, mais de toute façon il faut vraiment tous s’impliquer et faire des efforts, j’espère aussi que vous serez entendus par les décideurs.
Puisque des militants comme les fondateurs du shift project et de carbone4 font la sourde oreille, on peut prédire que « les décideurs » ne comprendront jamais la simplicité de l’allocation climat. La prise de conscience ne viendra pas d’en haut. Si le bas de l’échelle sociale n’intègre pas ces informations de manière horizontale et spontanée, nous ne sortiront pas de cette impasse politique…
Merci Vianney, c’est très bien vu et ça montre les multiples entrées de ce concept d’allocation climat : le pouvoir et la liberté de choix des consommateurs (dans la limité de l’allocation tout de même), la redistribution et la justice sociale, la garantie de résultats, la joie d’un projet collectif. Et tu démontres de façon argumentée la plus grande efficacité de ce système par rapport aux autres. Je peux partager ton billet d’humeur ?